Falowne
Rédactrice en Chef
Falowne est notre rédactrice en chef, issue du parcours master en arts et culture visuelle dans les pays anglophones (université de Paris-Cité), couvrant ainsi l’étude de la peinture, de la photographie, des arts plastiques et multimédia, du cinéma anglais et américains, de la culture visuelle et des pratiques contemporaines de l’image (ex: les jeux vidéo). Actuellement mastérante en Interculturalité et métiers de la culture à l’université Savoie-Mont-Blanc, elle explore le cinéma mondial, avec un intérêt particulier pour les films asiatiques. Spécialisée dans les films dramatiques et les thrillers psychologiques, Falowne aime analyser les relations humaines à l’écran. En dehors de ses études, elle écrit, chante, et streame ses réflexions culturelles ou son jeu favori, League of Legends.
Loin d’être un film transpirant et étouffant, Challengers est une œuvre qui respire, un long-métrage qui s’exprime à travers une sensualité subtile et poétique. Cette sensualité ne se résume pas à une simple attirance physique, mais plutôt à une quête de sens profonde et introspective. Elle se manifeste à travers les cinq sens, en particulier le toucher et l’ouïe, mais également à travers les émotions des personnages, qui se transforment et évoluent au fil du récit à transposer à l’écran.
Moi aussi, je veux regarder un fucking good tennis match. Et surtout, j’ai envie de regarder un fucking good movie aussi; sans arrière-pensées mais aussi, qui me tourmente de questions et me transmet tout un tas d’émotions, m’amenant à m’interroger sur le sens même de tout ce que je viens de voir. Challengers, c’est une toute nouvelle expérience cinématographique, ayant ravivé ma passion pour le cinéma. Depuis la fin de la Covid, j’ai trouvé cela difficile de retourner dans les salles obscures, du moins, de retrouver cette exaltation que le visionnage de films me procurait quand je me suis découvert cette envie de consommer des médias visuels et mouvants. C’était semblable à l’excitation de regarder un match de sport palpitant, un événement que l’on ne vit que trop rarement car quand on se rend au cinéma, on choisit ce que l’on a le plus envie de voir. Car le cinéma, c’est un art qui permet de se découvrir et d’explorer de nouvelles facettes de soi. Challengers fait partie de ces films qui nous le rappellent (à titre d’exemple, je me suis surprise à regarder ce qu’il y avait comme leçons de tennis dans ma région)
En ce qui concerne mon ressenti général sur ce film, je peux y associer les termes suivants : intriguant, intense, stimulant et juste hot! Je considère pour ma part que ce qui constitue une force majeure de ce film, ce sont les personnages. Art, Patrick et Tashi sont dépeints comme des êtres complexes, sans antagoniste clairement défini. Leurs interactions nous paraissent théâtrales, car ce qui se joue réside au sein même de la géométrie variable de leurs relations. Les actions de chacun influencent ou instrumentalisent les autres, brouillant les frontières entre bien et mal. Il est louable que le scénariste, Justin Kuritzkes, se soit inspiré de sa propre vie, ajoutant de la profondeur au développement des personnages et du triangle amoureux qui se dévoile sous nos yeux.
Patrick : Un charme fragile et une présence envahissante
Patrick apparaît comme le personnage le plus fragile du récit, paradoxalement, sa force réside dans sa présence magnétique. Cette dualité se manifeste lorsqu’il prétend être à court d’argent et demande à une femme de le laisser dormir dans son motel, ou encore lorsqu’il envahit l’espace personnel de Tashi quand il rejoint un date Tinder dans l’hôtel où elle vit avec Art. Son comportement est à la fois invasif et désarmant, limite corrosif. Son regard lointain et son air perdu accentuent cette impression de fragilité. Il tient peu en place avec son regard lointain et qu’on le surprend comme étant perdu. Art est un ancien champion en perte de vitesse, il ne désire plus gagner. L’inspiration du scénariste Justin, vient du roman autobiographique Open : An Autobiography d’Andre Agassi, dans lequel l’ancien tennisman révèle qu’il n’a jamais aimé son sport, qu’il était juste doué. Peut-être est-ce cela qui a inspiré le personnage d’Art, autour duquel gravitent deux êtres passionnés de tennis qui ne sont jamais parvenus à perdurer au sommet de leur art. Car en effet, Luca Guadagnino rend artistique chaque entrée de chaque personnage, chaque regard, chaque contact, peau contre peau. Son rapport à l’érotisme et au désir est étroitement lié à cette volonté de ces sportifs, qui, durant leur jeunesse, parvenaient à exprimer ce désir transpirant qui les anime.
Art : Un joueur blasé et en perte de vitesse
Quant à Art, il évolue en marge du trouple, tel un électron libre. Son regard distant observe les interactions entre Patrick et Tashi et il en vient même à s’immiscer dans leur relation au début du film. Son silence renferme une profonde solitude, un monde intérieur insondable.
Pourtant, sous cette carapace de solitude brûle une flamme ardente. Autrefois complice de Patrick, il est désormais son rival acharné. Chaque match contre lui est une bataille personnelle, une revanche à prendre sur leur passé commun où il se voyait perdre. Il ne s’agit plus de simple jeu, mais d’une quête de domination, d’une volonté de s’affranchir de l’ombre de son ancien coéquipier. Mais la motivation d’Art ne se résume pas à cette rivalité féroce.
Le regard admiratif de Tashi est son étoile polaire. Le désir de la rendre fière le pousse à se surpasser, à repousser ses limites. Il joue pour elle, pour lui offrir l’intensité des matchs qu’elle ne peut plus vivre elle-même, pour raviver en elle la passion dévorante qu’elle voyait autrefois à ce sport.
Cependant, Art n’est pas insensible à la pression qui pèse sur ses épaules. Le poids des attentes de Tashi, l’espoir qu’elle porte sur lui, le hantent comme des spectres menaçants. Parfois, le doute s’immisce, la peur de l’échec le tenaille. Sous ce fardeau, il semble parfois vaciller, ses coups autrefois puissants perdent en précision, son mental vacille face aux moments critiques. Des erreurs inhabituelles trahissent une certaine perte de confiance, fragilisant l’armure qu’il s’est forgée.
Art est à la croisée des chemins. Tiraillé entre ses démons intérieurs et la force de son amour pour Tashi, il se bat pour trouver son équilibre. Sa quête de rédemption sur le court de tennis n’est pas seulement la sienne, mais aussi celle de Tashi.
Pour en venir à Tashi, elle est la balle de tennis placée au centre de ces intérêts amoureux, mais pas seulement : elle coache simultanément Art et Patrick, de sorte que ce triangle amoureux paraît ne pas vraiment déterminer lequel des deux peut en sortir gagnant. Et c’est là tout l’enjeu du film : ces trois êtres sont complémentaires.
Aussi, j’aimerais en venir à présent à la performance de Zendaya : je l’ai trouvée ancrée, diabolique, et surtout, quel plaisir de la voir dans un rôle qui diffère de ceux qu’on lui connaît (et ce, depuis ses années Disney Channel). Les acteurs ont livré des performances captivantes, notamment Josh O’Connor (Patrick Zweig dans le film), dont le portrait est plutôt brouillon, voire flou. Je dirais même qu’il n’est pas tout à fait l’antagoniste qu’on veut se représenter. Je vais y venir en quelques lignes à travers l’interprétation de la dynamique entre tous ces personnages.
Luca Guadagnino : Une esthétique du désir à travers la dynamique des personnages
Le réalisateur Luca Guadagnino sublime chaque entrée en scène, chaque regard, chaque contact physique. Son approche de l’érotisme et du désir est intimement liée à la quête de ces athlètes qui, dans leur jeunesse, expriment ce désir ardent qui les animait.
Analyse d’une scène spécifique
La façon dont Luca a dirigé les acteurs est par ailleurs remarquable. Je prends pour exemple l’extrait suivant :
« [Dans cette scène à la cafétéria de Stanford], les garçons sont assis l’un à côté de l’autre, leurs visages à quelques centimètres de distance, du sucre collé aux joues. J’ai gardé le plan large parce que je pensais qu’il fallait rester près d’eux pour analyser la grammaire de leur comportement, la façon dont ils interagissent ensemble », a expliqué le réalisateur Luca Guadagnino en revenant sur la scène en question.
Eh bien, il est clair que la grammaire de leur comportement, du moins l’interprétation que l’on pourrait en faire, ce serait que ces deux bons amis s’apprécient davantage que ce qu’ils ne laissent présager, voire, qu’ils peinent à montrer. La scène ne fait que s’intensifier à partir de là : « Lorsque du sucre atterrit sur la joue de Patrick, Art l’enlève délicatement avec sa main, un geste très affectueux – et je dirais même qu’il relève de l’intime. La scène se conclut sur les garçons partageant une bouchée du même churros, et ceux/celles qui sont encore actifs sur Tumblr ne s’en sont pas encore remis. », a ajouté le réalisateur.
« Mon intérêt pour le cinéma est né lorsque j’ai pris conscience de son potentiel visionnaire. Je le vois comme une clé pour déjouer, révéler et provoquer des épiphanies. Le cinéma dont la vocation se résume à divertir ou illustrer ne m’a jamais intéressé, pour être honnête » (Luca Guadagnigno). Là où son cinéma semble être en corrélation avec mes attentes de spectatrice, c’est que Challengers réussit ce pari fou de nous mettre une claque tant en termes de structure narrative, de prises de vue, de dialogues, de plans audacieux. Challengers provoque actuellement une épiphanie quand on se confronte à ce long-métrage dans des salles obscures.
Une épiphanie telle qu’elle a réussi à surpasser Call Me By Your Name au box-office national états-unien, devenant le film de Luca Guadagnino le plus rentable en à peine cinq jours.
L’intrigue était tellement immersive que j’ai ressenti, pour ma part, une forte implication émotionnelle. La narration rythmée y est pour beaucoup. Malgré quelques moments de lenteur qui contrastent avec la rapidité des mouvements, le film a maintenu un intérêt vif à travers ses interactions entre les personnages, suscitant le désir d’une réflexion plus poussée sur ce qui les relie. La nature interprétative de la fin semblait être appropriée et auto-suffisante, encourageant les spectateurs à réfléchir sur les thématiques et le message du film sans avoir besoin d’une conclusion définitive. Ainsi, libre à soi d’avoir sa propre interprétation. C’est par ailleurs un témoignage de la profondeur et de la complexité du film. Ce médium a réussi à transmettre ses thèmes, même si certains éléments symboliques semblaient initialement obscurs.
Je pense notamment aux scènes durant lesquelles il y a des parallèles entre Tashi et Patrick mangeant une banane à des moments différents du film ou bien encore, quand tour à tour dans le film également, Tashi et Patrick donnent un chewing-gum, suscitant une analyse de ce que je présume être symbolique. Les plans ont complété la narration, avec une bande-son qui cadence et rythme la tension, contribuant au développement des personnages.
Mon interprétation personnelle
Pour ce qui est de la dynamique des personnages principaux qui sont aussi les têtes d’affiche, laissez-moi donc vous évoquer ma théorie. Bien que ceci ne relève que de mon imagination, je vous dévoile ci-dessous ce que j’en ai déduit : j’ai eu le sentiment que dans cette association d’éléments naturels qui sont évoqués au début de la relation entre Patrick et Art, surnommés Fire & Ice, il y avait là une signification métaphorique qui se dissimule derrière cette dite association : le feu représentant Patrick ; la glace représentant Art. Le feu et la glace sont parfois perçus comme étant des éléments contraires.
Le feu représente la chaleur, la passion, mais aussi l’intensité, tandis que la glace incarne le calme, la tranquillité et le froid. Toutefois, on sait aussi que le feu fait fondre la glace en eau (comme la transpiration que l’on perçoit durant ce match intense) et que la glace peut éteindre tout feu (tout comme Art ne ressent plus de passion pour le tennis et a refroidi Patrick toutes ces années avec son comportement).
Enveloppée dans l’éther de l’existence, Tashi, telle une brise insaisissable, traverse le récit, insufflant vie et mouvement aux personnages qui l’entourent. Comme l’air, élément invisible mais omniprésent, elle imprègne chaque scène, modulant les interactions et influençant les destinées de Patrick et Art. A l’instar de l’air qui attise les flammes, Tashi nourrit les passions qui consument Patrick, personnage ardent et impétueux. Sa liaison adultère, flamme dévorante, trouve dans la présence de Tashi un combustible inépuisable face à la froideur du caractère d’Art. Pourtant, elle n’est pas une simple spectatrice du chaos qu’il engendre. Comme un vent frais balayant les braises, elle cherche à tempérer ses ardeurs, à le guider vers une voie moins destructrice.
Aussi, elle influence les mouvements de la glace, qui serait ici Art avec sa carrière sportive et ce depuis son accident. Ici, elle n’a pas les mêmes intentions qu’avec Patrick. Face à la rigidité glaciale d’Art, Tashi souffle un vent de renouveau en l’incitant à jouer contre Patrick. Sa présence agit comme un baume sur ses blessures du passé et elle ne peut que se fier à ces deux êtres passionnés par la tension entre eux, plutôt que par le sport qu’ils sont censés aimer.
Elle est au centre de tout, elle est l’air qui donne un sens à la vie. On le voit également à travers les différents angles. En ce sens, il y a une scène qui peut également appuyer mon propos, celle où Tashi se retrouve face à Patrick vers la fin du film et qu’elle lui demande de perdre. Tel un vent invisible, Tashi manigance les rencontres et les confrontations, créant des tensions et des rapprochements entre les personnages. Elle est le fil conducteur qui tisse la toile narrative, reliant leurs individualités et les faisant converger vers un dénouement qui est aussi surprenant qu’inattendu.
Tour à tour, les êtres que l’on observe à l’écran se font la passe car comme dans la réalité, aussi surprenant que cela puisse être, ces êtres se renvoient les dialogues, et échangent de places comme s’ils étaient constamment en quête d’une place sur un podium. L’un après l’autre, ils passent premiers, gentiment deuxièmes, et ensuite, derniers.
Enveloppée de mystère, Tashi demeure une figure énigmatique, dont les motivations profondes restent cachées. Tashi paraît gagner au départ, puis c’est au tour d’Art, vient finalement Patrick. Ils sont tous plus ou moins égaux au regard de leurs interactions. Elle sait la place qu’elle tient dans ce trio, les deux autres paraissent l’ignorer, en particulier Art. Celui qui paraît être le plus innocent des trois n’a couru après aucun rêve contrairement aux deux autres. Ce dont Patrick et Tashi rêvaient, c’était de cet éclat, de ce rayonnement dans ce sport. De ce qui les a transformés en des êtres si perfectibles. On suit ces personnages complexes, dont la toile de fond se tisse sur l’exploration de leur désir, de leurs aspirations, de leur jeunesse mais aussi, de leur quête de sens.
Je recommande donc ce film intense et érotique pour ceux et celles qui recherchent une expérience cinématographique. Je recommande même de le voir plus d’une fois (j’en ai fait l’expérience). Je pense qu’il est facile de constater que je l’ai fortement apprécié. Aussi, ce film s’inscrit dans la tendance des films explorant les relations complexes et les désirs humains de par son aspect contemplatif. Les thèmes abordés sont l’ambition, la réussite, les relations humaines et la quête de soi. Merci de m’avoir lu !
SOURCES
The Horniest Food in Challengers, Ranked From Least to Most
https://x.com/FilmUpdates/status/1785803218771161565
https://www.tiktok.com/@jjk.files/video/7363859011608890654